"Un paysan et son univers, de la guerre au marché commun"

 

Le champagne sablé, "Un paysan normand au STO en Allemagne" paru en 2004, l'histoire aurait pu s'arrêter là ...   "Le 15 décembre 2004, dans l'humidité froide d'une journée de fin d'automne, nous (écrivent Philippe Madeline et Jean-Marc Moriceau) revenons au Village Caillou apporter les résultats de notre travail. Nous restituons au propriétaire ses précieux documents. Notre histoire avec Pierre Lebugle aurait pu s'arrêter là.   Une fois sablé le champagne dans la cuisine - dont le décor n'avait pas changé depuis longtemps-, nous allons prendre congé lorsqu'une dernière question vient tout bouleverser ... Avoir tenu ses écritures de 1943 à 1945 n'était pas un fait anodin, en particulier pour un petit paysan.   Le rédacteur du "Voyage en Allemagne" :   - avait-il rempli d'autres agendas ? Après son retour au "pays" ...   - avait-il poursuivi son expérience journalière ? Avant de refranchir le seuil de sa maison, nous voulons en être vraiment assurés.   - "Eh bien, oui !" répond notre interlocuteur, avec un certain aplomb ! Nous nous regardons, médusés.   - Ces documents sont-ils conservés ? Combien en reste-t-il ? Et pouvons-nous y avoir accès ?   L'attente ne dure guère et, suivant le pas assuré de notre personnage, nous grimpons avec lui au grenier. Un vieux carton gisait là, au milieu d'innombrables objets accumulés depuis des lustres. Sous les combles apparaissent bien vite, à côté de la vareuse du STO qui ne recueillait plus sur son cintre que la poussière, des dizaines d'agendas, tenus depuis l'avant-guerre jusqu'en 1971. Sur plus de trente ans, une collection de carnets domestiques préservait la mémoire des travaux et des jours d'un petit cultivateur normand qui, s'était activé de la fin de la IIIème République au début de la Vème.   Ce fut là le point de départ de notre entreprise. Avec libéralité, Pierre Lebugle nous a confié sa manne archivistique : tous les agendas mais aussi une foule d'écrits qu'il n'avait jamais jetés; correspondance, factures, photographies, brouillons, et quelques documents administratifs. Nous étions investis d'une nouvelle mission : mettre en valeur ce singulier dépôt ...   A partir de ce moment, les archives de Pierre Lebugle viennent compléter une documentation déjà volumineuse sur Camembert et ses environs ... Nous voici dans une Normandie de cartes postales : le bocage augeron, avec ses maisons à colombages au milieu de cours complantées de pommiers sous lesquels paissent quelques vaches normandes ... C'est dans ce paysage où alternent des vallées étroites, des plateaux disséqués et des versants abrupts que prennent corps les décennies de labeur du petit cultivateur.   Très exactement, ses carnets nous transportent en Pays d'Auge ornais : depuis le cadre familial de la commune de Camembert, dans le canton de Vimoutiers, jusqu'à la commune voisine de Survie ..."   Né en 1922, au Hameau de La Bucaille, installé au  Village Caillou après son mariage, Pierre Lebugle est décédé en 2009.   Extraits "Un paysan et son univers, de la guerre au marché commun" par Philippe Madeline et Jean-Marc Moriceau, Mai 2010, Editions Belin     Quatrième de couverture : "Un paysan et son univers de la guerre au marché commun", Une plongée dans les agendas d'un paysan normand "Sur plus de trente ans (1941-1971), les agendas de Pierre Lebugle, cultivateur au "Village Caillou" en Pays d’Auge, éclairent de l’intérieur un monde rural qui ne cesse de changer. Depuis la haie de sa maison et celles de ses herbages, nous le voyons circuler d’un horizon à l’autre. Nous pouvons reconstituer son univers. La longue période de l’après-guerre a profondément modifié la vie quotidienne dans les campagnes : de cette révolution agricole "silencieuse" qui a touché nos parents ou grands-parents, voici l’un des représentants les plus modestes, presque un "spectateur" quand on considère la singularité de son parcours. Mais à ce titre, il est emblématique de cette majorité silencieuse d’exploitants qui, peu ou prou, se sont maintenus avant de mettre la clé sous la porte. La collection d’agendas qui sert de support à cet essai – et dont une dizaine sont édités ici, du Journal du STO en Allemagne aux débuts de la Ve République – offre une source encore en friche. Or, au-delà des statistiques et des généralités, elle restitue la richesse de l’histoire vécue dans le monde rural bouleversé par la Révolution agricole. Le passage du paysan à l’agriculteur a été le défi des Trente Glorieuses : l’homme du Village Caillou n’a pas cherché à le relever. Mais il a contribué à tisser au jour le jour des liens sociaux qui l’ont facilité."